Cadrage moderne et portrait
Année : vers 1870
Dimensions: 56, 5 – 46, 2cm
« Faire des portraits dans des attitudes familières et typiques, surtout donner à leur figure les mêmes choix d’expression qu’on donne au corps », voilà ce qui enthousiasme Edgar Degas.
La musique monte en danseuse. Au-dessus des oreilles et des mains en habits noirs et blancs s’agitent des jambes et des bras en tutus roses et bleus.
Juxtaposition de deux mondes, fascination pour deux corps de métier : les danseuses sous les feux de la rampe et les musiciens assis dans la fosse. D’où se détache le portrait du bassoniste. Y a-t-il un seul sujet dans ce tableau ?
Sujet
Ce tableau est à la fois un portrait de groupe, les musiciens de l’orchestre de l’Opéra qui sont ici identifiables, avec au centre Désiré Dihau le bassoniste et une scène de la vie contemporaine.
Ce tableau contient un portrait, celui de son destinataire Désiré Dihau, mais on ne peut pas le considérer comme un portrait du musicien, celui-ci fait parti de cet orchestre, comme tout autre musicien, il est seulement mis en évidence, mais cela n’est clair que pour ceux qui savent l’intention de Degas. Cette œuvre est donc une sorte de compromis réussi dont le sujet réel est la musique, mais attention, la musique en tant qu’elle est un élément de cette chose qui fascine Degas : les arts de la scène et comme on le sait par l’ensemble de sa peinture, particulièrement la danse.
Degas fait figurer dans la loge de gauche la compositeur Emmanuel Chabrier, il a d’ailleurs soigné les musiciens de l’orchestre dont on distingue les visages. Sur chacun on peut mettre un nom, c’est une collection de portraits avec avantage au bassoniste, Désiré Dihau.
Composition
On peut distinguer trois espaces délimités par deux horizontales, l’espace des spectateurs au premier plan, la fosse d’orchestre et la scène où les danseuses ont les jambes et les têtes coupées. Les diagonales (basson et manche de la contrebasse), ainsi que les verticales du violoncelle et de la harpe relient ces espaces entre eux ; en bas une zone neutre, la balustrade qui marque la limite du territoire de des musiciens ; puis la partie du sujet à proprement parler, l’orchestre enfin une partie de la scène très éclairée celle-ci et d’une apparence tout à fait autre.
La fosse est faite de visages et d’habits noirs, la scène de corps et de tutus de toute les couleurs.
Degas met en jeu deux éléments étrangers ce qui s’écoute et ce qui se regarde.
Au premier correspond les mains et les oreilles, très présentes car les musiciens sont tous de profil, même le contrebassiste qui de dos tourne la tête vers nous comme pour écouter la salle ; au second, les jambes et les bras qu’on voit s’agiter d’une manière en apparence désordonnée.
Deux éléments font partie des deux espace optiquement : Le manche de la contrebasse qui traverse en biais la scène, et la tête dorée de la harpe juste à côté de celle de Chabrier.
Couleur, lumière
Clair-obscur de la scène, éclairage artificiel.
Contrastes des couleurs et lumières entre scène et fosse d’orchestre.
Contraste entre la féerie du spectacle et le naturalisme des portraits.
Degas aime ces double lumières du théâtre qu’il a beaucoup pratiqué d’une manière unique, surtout dans ses extraordinaires pastels, où il fait du tableau une véritable scène, communicant au plus vrai et au plus proche la magie du spectacle. L’ombre chaude que la scène déverse sur l’orchestre évoque les couleurs des instruments à corde dont on ne voit là d’ailleurs que les archers et quelques manches. C’est un univers noir brun et cuivré dont la production musicale, les sonorités, sont évoquées par le colorisme de la scène, tout l’éclat de couleur est donné par les bas des danseuses et leur tutus ; la lumière venant de la rampe éclairant par en dessous, fait un clair obscur magnifique sur les bras des danseuses.
Degas a laissé un endroit vide en bas du tableau qui nous éloigne des musiciens et nous met à l’extérieur de cet univers ; cet endroit est dans une couleur brune ; elle échappe complètement à la lumière et se situe entre les coloris les plus sombres et les coloris de valeur moyenne, le peintre a réservé les extrêmes pour l’orchestre (le noir des vêtements) et pour la scène (les couleurs des jambes des danseuses).
Matière, forme
La peinture de Degas change pendant les années soixante dix, ce tableau appartient à la première période du peintre, il est encore dans l’esthétique de La famille Bellelli, mais déjà apparaît une manière différente dans le traitement des danseuses qui deviendra par la suite un de ses thèmes essentiels. En effet le travail sur les musiciens qui est en vérité une série de portraits, a cette qualité et perfection de facture de la première partie du siècle. Cette autre manière qui s’annonce dans les danseuses fait un contraste très réussi dans l’ensemble du tableau, il sépare les deux univers , la scène et la fosse, ajoutant une superbe irréalité à ce qui se passe sur cette dernière.
En effet il n’y a pas de rupture brusque dans la peinture de Degas, insensiblement, à pas feutrés, pourrait-on dire, son style évolue, jusqu’aux deux danseuses au repos de 1910 où le dessin semble se défaire dans la couleur mais ne serait-ce pas plutôt dans la lumière.