La Source, une allégorie à l’érotisme caché
« Ce tableau défie tout reproche de raideur ou de monotonie dans le talent. Si vrai pourtant que soient les travaux d’Ingres, il ne leur arrive jamais de démentir l’unité des inspirations intimes et des principes ». Etonnante, la manière dont Ingres porte un jugement sur son œuvre, La Source…
Contre-plongée sur le bassin, regard équivoque, sourire empreint de séduction, chair suave d’où émane la lumière, cette cariatide n’a pas un cœur de pierre. Son corps ondule, sa chevelure file comme l’eau vive, d’où jaillit ce va-et-vient entre la femme et l’archétype.
entre 1820 et 1856 – 163 x 80 cm
Sujet
Il s’agit d’une allégorie de la source qui depuis la mythologie gréco-romaine était personnifiée par une jeune femme, une naïade avec pour attributs des plantes aquatiques, une cruche ou une coquille. Deux élèves d’Ingres ont participé à l’exécution de ce tableau : A. Desgoffe pour le fond et P. Balze pour la cruche et les reflets dans l’eau. Ingres est un homme du XVIIIe siècle, né en 1780, il a 20 ans lorsque Bonaparte prend le pouvoir, il commence sa carrière d’artiste avec ce nouveau siècle. Élève de David, il gardera une empreinte de l’enseignement de ce peintre mais à partir de ses connaissances il construira une peinture très personnelle que d’aucun ont autrefois trouvé bizarre.
Il passe, dès l’apparition de Delacroix qui est pourtant beaucoup plus jeune que lui, pour l’anti-romantique par excellence. Il est vrai que son style très particulier qui se réclame à corps et à cri de Raphaël, dérange bien ceux qui se réclament de Tintoret.
La Source a une histoire curieuse, Ingres commence ce tableau en 1820, il ne la finira que 36 ans plus tard, il a donc 40 ans au départ, à l’arrivée il a 76 ans. On ne sait pas si il y eut un modèle au début ou à la fin, mais il est difficile à imaginer que le peintre ait pu réaliser une telle carnation si vraie sans l’avoir sous les yeux. A cet âge faire un tel tableau, c’est retourner soi-même à l’origine de la vie, une part de l’émotion que communique ce tableau vient peut-être de là.
Une toute jeune fille 15 ans peut-être, au visage lisse « très Ingresque », au regard innocent, tient une cruche de terre cuite de type antique sur son épaule d’ou coule une eau limpide, elle est dans un creux de rocher, un plan d’iris à ses pieds, une vigne grimpante à sa gauche.
Composition
Ses pieds se reflètent dans l’eau. Dans cette toile de format vertical, la hauteur est égale à deux fois la largeur. L’axe central de la toile dans les deux sens passe le milieu du corps. La pose du modèle et la construction de la toile donnent à La Source l’immobilité du marbre. Cette femme, tellement réelle par son corps, est posée là comme une cariatide ; dans un décor de pierre. Évidemment Ingres a voulu faire un monument à la vie, en tout cas en apparence, mais cette statue est une femme vivante , et même trop vivante pour le sujet, il y a quelque chose de troublant dans cette composition où l’espace, la lumière tout est fait par ce corps verticale qui est sensé jouer un rôle allégorique, seule la cruche de terre cuite fait une diagonale qui rompt l’uniformité de toute cette verticalité, et cela suffit d’ailleurs.
Cette statue vivante, est aussi peinte, il y a là donc un double jeu de miroir, thème que nous allons d’ailleurs trouver dans le tableau, une fois de plus, équivoque, entre proportions idéales, impression de réalité et impression d’harmonie, sans l’être réellement parce qu‘on voit bien que le peintre ment.
Couleur, lumière
Cet étrange mélange de convention et de réalisme cache bien sûr une intention, toute la lumière du tableau vient de la chair du personnage.
Ingres a donné au corps un attribut accordé d’ailleurs à la couleur de la chevelure de cette jeune fille, la cruche dont la couleur ocre rouge chauffe les teintes de la peau, et ajoute une note terrestre au personnage, le réalisme de cette cruche très neuve aide l’harmonie de couleur de l’ambiance colorée dont l’essentiel est faite de teintes grises et d’un rose cassé du plus bel effet mais ces rochers font une impression de décor, même si (ou peut-être justement) les deux fleurs, un iris jaune et une marguerite qui sont sur les côté, au pieds de la jeune fille, ont l’air très réelles. La vigne grimpante et le feuillage derrière sa tête sont aussi des éléments d’une certaine réalité, seul le rocher a l’air de convention pure, son éclairage délicieux, ses lignes molles n’en font pas une matière froide, il est donné comme peint, c’est un pur décor bien éclairé d’une manière théâtrale, avec toute la douceur voulue.
Les couleurs douces et chaudes du corps, de la chevelure et de la cruche contrastent avec celles froides du fond qui les mettent en relief comme une statue.
Matière, forme
La matière évoquée, l’eau est présente aussi d’une étrange manière, elle coule de cette cruche et ne ressemble pas vraiment à de l’eau, bien qu’elle en ait toutes les caractéristiques apparemment. La rousseur de la chevelure répandue aussi sous la cruche de cette même couleur est sans équivoque possible, cette eau c’est une chevelure transparente et cette main sur l’embouchure de la cruche c’est une main dans une chevelure. Il y a donc une confusion entre l’eau et la chevelure. Et puis cet eau qui tombe en faisant un rond bizarre (pas très réaliste pour le moins) dans l’eau stagnante de cette source, n’a pas l’air de troubler cette surface qui donne plus le sentiment d’un miroir que d’une surface liquide. Chevelure, miroir, nous voici dans un autre propos. Les ravissants petits pieds de cette jeune fille reposent sur quelque chose d’indéfinissable ; est-ce une mousse blanche, une fourrure, un sable blanc ou tout cela à la fois, ou encore un nuage ? Peut-être notre statue vivante à les pieds sur une évocation, celle d’un agneau.
Le regard gris si bien choisi par rapport à l’élément de l’eau est à la fois tendre (l’œil gauche) et enjoué, juvénile (l’œil droit) ; une certaine tiédeur émane de ce tableau, Ingres en effet n’a rien négligé même la température de cette eau- chevelure.
Cette peinture lisse comme un miroir, parfaite en elle-même, dont la maîtrise est totale, ne permet aucun doute : Jean Dominique Ingres savait parfaitement ce qu’il faisait et ce qu’il avait à dire.
Les critiques de l’époque furent particulièrement frappés par l’impression de vie de ce corps pudique, de proportions idéales, mais bien réel.
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